La maladie qui pardonne tout?

La maladie qui pardonne tout?

Être malade, soigner des malades, aimer une personne malade, vivre avec ou à côté de la maladie, quelle tristesse! Lorsque notre corps est paralysé dans un lit, lorsqu’il souffre et qu’il se tord de douleur, lorsqu’il ne peut bouger normalement et qu’il demande de l’aide, c’est éprouvant! Pour certains, cet état de paralysie est un concept complètement abstrait, alors que pour d’autres c’est le quotidien. Un quotidien parsemé de lourdes épreuves physiques et psychologiques, un quotidien qui demande ajustements et réajustements, un quotidien écrasant et affligeant… Le quotidien de mon voisin et celui de mon collègue, le quotidien de ma cousine ou encore celui de mon ami, mais surtout, le quotidien de mon PAPA!

À la fin de la vingtaine, mon père a reçu un double diagnostic de spondylarthrite ankylosante et de polyarthrite rhumatoïde sévère. Ces maladies sont deux formes d’arthrite inflammatoire de type auto-immune. Le principe des maladies dites auto-immunes, c’est que le système immunitaire chargé de défendre l’organisme se méprend et attaque les tissus appartenant au corps. Lorsqu’on est atteint de spondylarthrite ankylosante, l’attaque vise les articulations de la colonne vertébrale et du bassin, causant une inflammation qui se manifeste par de la douleur et une raideur au niveau du dos, des épaules et du cou. Pas rose, vraiment pas rose… Quant à la polyarthrite rhumatoïde, l’attaque vise la membrane qui borde les articulations et parfois également d’autres organes internes comme les yeux, les poumons et le cœur. L’inflammation qui en résulte se manifeste par une enflure et de la douleur et peut entraîner des lésions irréversibles. On ne peut guérir ces maladies, on ne peut que vivre avec et les accepter, chose que mon père fait avec beaucoup de courage depuis de très longues années.

Et si, au moins, la vie ne l’avait affligé que de ces maladies… Mais non! Mon papa est un homme malade, l’éventail de ses afflictions est malheureusement très large : infarctus, crise d’angine, opérations complexes, risquées et multiples…

Pourquoi je vous partage cette parcelle de mon intimité selon vous?

En fait, je me questionne beaucoup sur le sentiment d’empathie. Je me demande s’il biaise parfois notre jugement ou, à l’inverse, s’il nous permet d’y voir clair. Selon le Larousse, l’empathie c’est la faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent. C’est indéniable, être capable d’empathie c’est une grande qualité, mais cette même empathie peut-elle influencer notre jugement de façon négative? Personnellement, je suis une femme empathique, en fait cela va au-delà de l’empathie; la douleur des autres êtres vivants me blesse, me rentre dedans comme on dit en bon québécois.

Si je voyais une personne, pour qui j’éprouve de l’empathie, poser un geste que je déplore, serais-je plus conciliante avec cet individu? Inversement, si je voyais une personne que j’exècre poser ce même geste déplorable, serais-je plus cinglante avec lui? Tout repose encore et toujours sur le jugement de valeurs…

Si je vous disais que mon papa a été un père exemplaire, le meilleur des modèles masculins qui ait foulé cette terre, qu’il s’est dévoué pour moi, qu’il m’a accompagné dans mes peines et mes difficultés, qu’il m’a toujours tenu la main quoi que je fasse… Face à sa maladie, vous le plaideriez n’est-ce pas? Vous vous diriez sans doute : « tant de souffrances, un homme si bon, que c’est triste! », non?! En retour, si je vous disais que mon papa a été un père dur et brutal, qu’il m’a abandonnée et délaissée alors que j’avais besoin de lui, qu’il m’a insultée et offensée pendant toute mon enfance, votre idée sur sa maladie et sur ses souffrances serait probablement différente, n’est-ce pas? « Ben bon pour lui, il n’a que ce qu’il mérite! Quand on crache en l’air, ça nous retombe sur le nez! »… Ce n’est pas le genre de réflexions que vous vous diriez? Pourtant, ses souffrances seraient les mêmes, toutes aussi pénibles et difficiles.

De nos jours, en Occident, nous sommes extrêmement influencés par le système méritocratique et, personnellement, je crois qu’on est sur une pente glissante.

« Il a travaillé de longues heures, il l’a mérité! »

«  Ce n’est qu’un incapable, il mérite ce qu’il lui arrive! »

«  Elle a eu d’excellents résultats scolaires, elle mérite cette bourse! »

Et s’il travaillait de longues heures pour fuir son foyer…

Si, au contraire, il refusait toujours les heures supplémentaires parce qu’il s’occupe de sa mère handicapée…

S’il était considéré comme un incapable, alors qu’il fait une grave dépression nerveuse…

Ou si elle avait eu de bons résultats scolaires parce qu’elle a passé son BAC à profiter des autres étudiants et à charmer les professeurs et qu’en plus, elle pouvait se permettre de ne prendre que trois cours par session…

Si la petite, qui devait travailler 30 heures par semaine et prendre six cours par session est brûlée et n’arrive pas à avoir autant de temps et d’énergie qu’une autre afin d’avoir des A+…

Et si… et si… et si…

Est-ce que celui qui a travaillé de longues heures est mieux que l’autre? Est-ce qu’il mérite davantage les honneurs et les bravos? Est-ce que celui qui souffre d’une dépression mérite ses souffrances? Laquelle des deux étudiantes devrait obtenir cette bourse au final?

Ce système méritocratique a cette conséquence perverse d’enrayer l’empathie de notre jugement et il crée un effet de catégorisation. Peu importe les raisons, peu importe la situation, peu importe l’historique de l’individu, s’il a posé tel geste, il mérite tel jugement!

Qu’il ait été un bon ou un moins bon père, mon papa ne mériterait pas plus sa maladie et ses atroces douleurs. Peu importe nos fautes et nos erreurs, nous avons tous droit au pardon et à la compréhension. Si on continue comme ça, on va finir par vivre dans une société où l’on ne retrouve que des gens aliénés et conditionnés qui vivent sur le pilote automatique et qui s’accusent à tort et à travers…

Finalement, l’empathie, ça peut juste être bon! 😉

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